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Nicolas Sarkozy : « Notre riposte doit changer de dimension »

LE JDD – Dans son discours de jeudi, François Hollande vous a ciblé en s’en prenant à ceux qui veulent remettre en cause l’État de droit face au terrorisme. NICOLAS SARKOZY – Est-ce l’État de droit qui doit s’adapter à la menace ou la menace qui s’adapte à notre État de droit ? On ne devrait pas bouger, stoïques et immobiles, alors que la vie de Français est en jeu ? Je ne l’accepte pas. Parce que la question aujourd’hui n’est pas : y aura-t-il un autre attentat ? La question c’est : quand ? Plus nous tarderons à adapter l’État de droit à la réalité de la menace, moins nous assurerons la sécurité des Français, que notre devoir est de protéger. Que proposez-vous concrètement ? Il faut créer une cour spéciale antiterroriste, à l’image de ce qu’a fait le général de Gaulle en 1963, avec la Cour de sûreté de l’État contre l’OAS. Je demande aussi un parquet national antiterroriste. Le gouvernement a créé un parquet national financier, et aujourd’hui il nous explique que créer un parquet national antiterroriste serait contraire à l’État de droit? Il faut des juges de la liberté et de la détention spécialisés dans l’antiterrorisme et rattachés à cette Cour de sûreté : l’individu de 19 ans qui a égorgé un prêtre à Saint-Étienne-du-Rouvray, après avoir fait deux tentatives de djihad, ne peut pas relever de juges de droit commun. La lutte contre le terrorisme impose que les décisions de justice soient prises par des magistrats spécialisés. Je veux aussi des quartiers spécifiques dans les prisons pour les radicalisés condamnés. Vous souhaitez également placer les fichés S en rétention administrative. Est-ce possible dans un État de droit ? La rétention administrative préventive existe déjà dans notre droit. Chaque année, 70.000 Français qui présentent des troubles psychiatriques sont enfermés sans décision préalable d’un juge. De même, les étrangers qui sont en situation irrégulière en France peuvent être placés dans des centres de rétention en attendant que leur reconduite à la frontière soit mise en œuvre. Pourquoi ne pourrait-on pas faire la même chose pour la centaine d’individus dangereux suspectés de liens avec le terrorisme ? Dire le contraire est soit un contresens juridique, soit d’une grande mauvaise foi. Il y a dans la Constitution un principe de précaution. Pourquoi la lutte contre le terrorisme, donc la sécurité des Français, serait le seul sujet sur lequel on ne l’appliquerait pas? Vous voulez donc appliquer le principe de précaution aux terroristes ? Systématiquement. Tout étranger suspecté d’être en lien avec une activité terroriste devrait être expulsé sans délai. Tout Français suspecté d’être lié au terrorisme, parce qu’il consulte régulièrement un site djihadiste, que son comportement témoigne d’une radicalisation ou parce qu’il est en contact étroit avec des personnes radicalisées, doit faire l’objet d’un placement préventif dans Un centre de rétention fermé. Et qu’on ne me dise pas que ce serait Guantanamo ! En France, tout enfermement administratif est soumis au contrôle a posteriori d’un juge, et je ne propose pas autre chose. Les détenus de Guantanamo, eux, n’ont jamais vu un juge civil! Dans les cas psychiatriques comme pour les étrangers en situation irrégulière, il y a une perspective de sortie. Quid des fichés S ? C’est très simple : une fois l’individu placé en rétention préventive, les services spécialisés analyseront sa situation. Si à l’issue de cette rétention il n’y a plus d’éléments de dangerosité, il sera libre. Dans le cas contraire, il ira dans un centre de déradicalisation où une enquête judiciaire pourra être ouverte à son encontre. Il ne sortira que lorsqu’il ne sera plus radicalisé. Sinon, il y restera. Nous ne pouvons laisser en liberté des individus radicalisés qui sont de véritables bombes à retardement. Je ne laisserai pas se perpétuer une situation où en, dix-huit mois, 238 personnes ont été assassinées sans prendre les mesures qui s’imposent. J’insiste: notre riposte doit changer de dimension. Une tentative d’attentat à la bonbonne de gaz vient encore d’être déjouée… Oui, et on est accablés : que se serait-il passé sans la vigilance du patron de café qui a alerté la police ? Et encore une fois, on parle d’individus fichés S et connus des services ! Le président de la République nous dit qu’on est en état de guerre. Quelles conséquences en tire-t-il ? Il faut protéger la société française. Le risque zéro n’existe pas et je ne serai pas celui qui dira que l’attentat de Nice aurait pu être évité. Mais ce que je dis, c’est que François Hollande ne met pas tout en oeuvre pour lutter contre le terrorisme. En 2012, c’est sous votre mandat que commence la vague terroriste, avec les crimes de Mohammed Merah à Toulouse. Aviez-vous alors pris la mesure de la menace ? Ce terroriste, avec ses crimes abominables, nous a fait basculer dans une autre époque et cela n’a fait qu’empirer. Qui aurait imaginé qu’un jour un salarié d’une entreprise décapiterait son patron, qu’un prêtre serait égorgé, que des fonctionnaires de police soient assassinés chez eux, et que les Français en viennent à ce point à avoir peur dans leur quotidien ? Je ne prétends pas avoir raison sur tout, et encore une fois je récuse le risque zéro. Mais je crois avoir été toujours lucide sur la réalité de la menace. Aujourd’hui elle est à un niveau sans précédent. La gauche, qui avait refusé de voter les lois antiterroristes, en particulier après Mohammed Merah, doit le comprendre, et accepter un renforcement drastique de notre appareil de sécurité. Le procureur de Paris s’est déclaré hostile à l’idée d’enfermer les fichés S. Lui est un spécialiste; vous ne tenez pas compte de son avis ? À chacun sa responsabilité: C’est aux politiques et à eux seuls, parce qu’ils sont élus par le peuple, de modifier le droit quand cela apparaît nécessaire. Un procureur peut-il interférer dans le débat politique ? Je ne le crois pas. Enfermer les fichés S serait-il suffisant? Le terroriste de Nice ne l’était pas… Compte tenu de la gravité de la situation, nous devons pouvoir expulser, à l’issue de sa peine, tout étranger condamné à de la prison. Ce n’est pas possible aujourd’hui, en raison notamment de l’article 8 de la CEDH [qui garantit le droit de toute personne au respect de « sa vie privée et familiale »]. C’est pourquoi je souhaite que la France demande une nouvelle rédaction de cet article. Tant que nous n’aurons pas obtenu gain de cause, j’estime indispensable que la France s’exonère de son interprétation actuelle, pour pouvoir expulser les délinquants étrangers ou les imams étrangers radicaux. Vous faites donc clairement un lien entre immigration et terrorisme ? Je fais un lien entre la faiblesse de nos frontières en Europe et le terrorisme. Certains des terroristes du 13 novembre sont entrés en Europe par la Turquie, à l’intérieur d’un groupe de réfugiés syriens. C’est un fait. Et ce n’est pas un détail. Alain Juppé estime que suspendre le regroupement familial ne serait pas une « attitude humaine »… Angela Merkel vient de suspendre le droit au regroupement familial pour les réfugiés syriens. La soupçonne-t-on d’être inhumaine ? Ce qui serait irresponsable, c’est de savoir qu’il y a un problème et de ne pas y répondre. Surtout lorsqu’on sait que ce problème ne fera qu’empirer, parce que l’Afrique va connaître un choc démographique considérable. Ma différence, c’est que je veux résoudre les problèmes. Je ne veux pas de posture. Ce n’est pas une question d’image pour moi. C’est pourquoi je souhaite la suspension du regroupement familial et le rétablissement de contrôles aux frontières tant qu’une nouvelle politique migratoire ne sera pas mise en œuvre au niveau européen. Mon ambition dans cette campagne, c’est de parler de la réalité que vivent les Français. Je veux être le porte-parole de la majorité silencieuse, qui nous dit: ça suffit. Vous ne rêvez pas d’une « identité heureuse » comme Alain Juppé ? Dans « identité heureuse », il y a identité. [Rires.] Le mot identité n’est donc plus tabou, c’est un progrès… Plutôt que de rêver, je préfère être lucide et agir pour résoudre vraiment les problèmes. François Hollande vous accuse de « convoquer les peurs », de « flatter les mauvais sentiments »… Mon sujet exclusif, central, dont je ne me laisserai pas détourner, c’est la France. Je veux parler aux Français, c’est la seule chose qui compte pour moi. Les commentaires des uns ou des autres m’importent peu. Je propose un chemin, une voie, une logique fondés sur la vérité de ce que vivent les Français. Au fond, ça vous arrange que François Hollande vous prenne pour cible principale, eh occultant Alain Juppé ? Le jour où Marine Le Pen fait sa rentrée, je suis sa cible unique. Le jour où M. Hollande retourne en campagne, je suis sa cible unique. Et certains dans ma famille politique ont aussi cette tentation. On a le sentiment qu’ils pensent que pour exister ils doivent d’abord s’opposer à moi, alors qu’il serait tellement plus utile qu’ils parlent de leur projet. Pas moins de huit candidats ont réussi à réunir les parrainages nécessaires pour la primaire. C’est trop ? Cela prouve surtout que l’argument selon lequel je voulais verrouiller la primaire ne tenait pas. La campagne va durer deux mois et demi. Il y aura des déceptions, sans doute, mais pas de frustrations, parce que chacun aura pu s’exprimer pleinement. Dans l’ascension de l’Everest, il y a beaucoup de candidats pour la marche d’approche, beaucoup moins dans l’escalade de la dernière pente. Alstom vient d’annoncer la fermeture de son site de Belfort. Était-il possible de l’empêcher ? Cette décision est un scandale. L’État est actionnaire à hauteur de 20 % de la branche transport d’Alstom. Le ministre en charge, M. Macron, très préoccupé par lui-même et sa propre carrière, a laissé tomber les ouvriers d’Alstom. Comment l’État peut-il accepter que son coactionnaire annonce la fermeture du site sans qu’il soit au courant ? Il s’agit d’ouvriers et d’ingénieurs qui fabriquent des TGV, un marché en croissance dans le monde. On ne peut pas les laisser tomber. Hollande restera comme le président du renoncement national. Il vient d’annoncer un milliard de baisses d’impôts… Annoncer un milliard d’euros d’impôts en moins après 50 milliards d’augmentation, cela fait 49 milliards de hausse. Le bilan fiscal de la gauche au pouvoir est désastreux pour les ménages, la classe moyenne, les familles et les entreprises. Le parquet vient de requérir votre renvoi en correctionnelle dans l’affaire Bygmalion. Votre avocat dénonce une « manœuvre politique ». Que signifie cette expression ? Aucun justiciable n’a été autant surveillé, examiné, interrogé que moi. On a écouté mes téléphones, vérifié mes comptes. On est allé même jusqu’à me suspecter de trafic de drogue ! En ce qui concerne Bygmalion, après une journée entière d’audition, le juge a abandonné, me concernant, tous les chefs de mise en examen en relation avec les agissements des dirigeants de cette société, dont personne ne peut dire qu’ils étaient mes amis. Le juge n’a prononcé qu’une mise en examen pour le dépassement du plafond légal de mon compte de campagne, qu’il a qualifié lui-même de « délit formel ». Or le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur ce dépassement et l’a déjà sanctionné. Ses décisions « s’imposent à toutes les juridictions ». Qui peut dire le contraire, surtout lorsqu’on veut invoquer l’État de droit? Et que dire des réquisitions du parquet inexactes juridiquement qui sont communiquées à la presse le matin même de l’ouverture du procès Cahuzac ? Peut-on considérer qu’il s’agit d’un traitement normal ?   INTERVIEW ANNA CABANA, HERVÉ GATTEGNO ET CHRISTINE OLLIVIER]]>