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La réforme Taubira porte atteinte au pacte Républicain

le Point

Le Point : Le projet de réforme de Christiane Taubira supprime les peines plancher et permet aux juges, pour les délits de moins de 5 ans, de recourir à des peines probatoires qui évitent la prison. Selon vous, c’est une erreur. Pourquoi ? Éric Ciotti : Cela va dans un très mauvais sens car cette réforme constitue un désarmement pénal de la société, au moment où la violence et la délinquance explosent. Ces peines de probation qui se substituent à la prison vont concerner des auteurs de cambriolages, de vols avec toutes les circonstances aggravantes et jusqu’au harcèlement sexuel. C’est la délinquance du quotidien. La réforme Taubira ne vise absolument pas à lutter contre la récidive, comme elle le prétend, mais tout simplement à vider les prisons. Ce sont plusieurs milliers de personnes qui pourront se retrouver dehors. C’est dramatique ! La réforme Taubira porte donc atteinte au pacte républicain. La prison est parfois la meilleure école du crime. L’éviter pour les petits délinquants, c’est aussi éviter qu’ils deviennent pires en sortant… Vous n’adhérez pas à cette idée ? Je suis d’accord avec l’idée que la prison est le dernier recours quand la prévention à échoué. Or, ce texte va concerner ce noyau dur des 5 % de délinquants qui commettent 50 % des délits. Avant la prison ferme, ce sont des individus qui, aujourd’hui, dans l’immense majorité des cas, ont déjà été interpellés une trentaine ou une quarantaine de fois. Le sursis avec mise à l’épreuve, qui existe aujourd’hui, a déjà été utilisé à leur égard. Même si elle doit être le dernier recours, la prison a quand même deux qualités. D’abord, elle protège la société. Comme me le disait un ancien grand policier : « Quand ils sont dedans, ils ne sont pas dehors. » Ensuite, la prison exprime la punition qu’a choisi de donner la société. Je ne suis certes pas pour le tout-carcéral, mais j’observe que la France fait partie des pays qui emprisonnent le moins en Europe : moins de 110 personnes pour 100 000 habitants, contre 144 pour la moyenne européenne, 150 en Grande-Bretagne et plus de 700 aux États-Unis. Manuel Valls défend ce texte parce que le gouvernement n’a pas non plus renoncé à créer 6 500 places de prison par an entre 2014 et 2016… C’est une tromperie majeure ! En mars 2012, le gouvernement Fillon a fait voter une loi de programmation pour l’exécution des peines qui comprenait la construction de 24 000 places de prison d’ici à 2017. Les places de prison que le gouvernement Ayrault prévoit de construire sont celles que Christiane Taubira n’a pas pu annuler car les contrats de construction étaient signés ! Le compte n’y est donc pas. Il y a actuellement 57 400 places de prison pour environ 68 000 détenus. En construisant seulement 6 500 places sur le quinquennat, on ne couvrira déjà pas les besoins actuels. Nous pensons au contraire que c’est au parc pénitentiaire de s’adapter à notre politique pénale et non l’inverse. La gauche semble davantage faire confiance aux magistrats pour juger un individu. La droite a-t-elle un problème de confiance avec la magistrature du pays ? Non, nos magistrats sont dignes de confiance car ils exercent une mission difficile et essentielle pour la société. Les peines plancher que nous avions mises en place n’étaient pas automatiquement appliquées, il s’agit là aussi d’une grossière manipulation. Le principe de l’individualisation des peines est constitutionnel. Les magistrats ont donc toujours eu la possibilité d’écarter une peine plancher dès lors qu’ils le motivent. D’ailleurs, ils n’ont appliqué les peines plancher que dans 40 % des cas prévus. Simplement, nous considérons qu’instaurer des peines plancher, avec des sanctions beaucoup plus lourdes en cas de récidive, a un effet plus dissuasif vis-à-vis des délinquants. Au contraire, avec les peines de probation de Christiane Taubira, nous sommes dans une logique de laxisme. Pour les délits de moins de cinq ans, les peines de probation – des mesures encore très vagues – s’imposeront aux magistrats, sauf à ce qu’ils motivent le renvoi en prison. C’est l’inverse même du principe des peines plancher. Manuel Valls est le favori des sondages. C’est donc que la gauche ne donne pas le sentiment d’un laisser-faire en matière de délinquance, non ? Manuel Valls parle avec fermeté, et je pourrais reprendre à mon compte beaucoup de son discours. Mais la fermeté du ministre de l’Intérieur s’arrête aux mots. La vérité, c’est que son bilan est très mauvais. Jamais les chiffres de la délinquance n’ont été aussi élevés depuis des années. On voit se développer des attaques de bande comme à Grigny sur la ligne du RER. On a vu un commissariat être pris d’assaut à Trappes, otage de revendications communautaires Marseille est devenue la ville des règlements de comptes avec 24 homicides l’an passé… Des territoires entiers de la République sont soumis aux caïds de la drogue. Et la situation se dégrade… Le seul succès dont Manuel Valls peut se targuer, c’est sa communication ! Un point qui devrait vous satisfaire : le projet Taubira réduit la possibilité pour le juge d’aménager les peines. C’était une disposition de la loi Dati contre laquelle vous aviez combattu… Oui, c’est la raison pour laquelle je suis le seul député UMP à ne pas avoir voté la loi Dati. L’administration pénitentiaire était déjà dans cette logique dangereuse de soumettre l’exécution de la sanction pénale à des contingences matérielles. Nicolas Sarkozy avait reconnu sur la fin de son mandat que c’était une erreur, et son programme de campagne prévoyait d’y revenir. Sur le principe, cette disposition de la loi Taubira pourrait être une bonne chose, mais le dispositif des peines probatoires rend inopérant ce qui pourrait être un progrès.]]>