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Interview aux « Echos » sur la gestion calamiteuse des finances publiques du gouvernement

Le Premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici estime nécessaires « des efforts d’économies sans précédent dans l’histoire récente ». Que vous inspire ce diagnostic ?

Ce diagnostic est, certes, lucide, mais bien tardif de la part de Pierre Moscovici que je trouve très complaisant depuis quelques années avec le gouvernement. De toute évidence, la réalité est extrêmement préoccupante : 900 milliards d’euros de dette supplémentaires depuis 2017, un déficit public d’au moins 4,9 points de PIB en 2023, une charge de la dette à 57 milliards d’euros en 2024, c’est plus que le budget de la défense nationale, le record des dépenses publiques en Europe et les prélèvements obligatoires les plus importants au monde. Certains disent que nous fonçons dans le mur mais j’estime que nous l’avons déjà percuté. La situation dramatique des finances publiques constitue la première menace qui pèse sur l’avenir de notre pays. Les agences de notations vont vraisemblablement dégrader la note de la France. Depuis des mois, et de façon accélérée ces dernières semaines, le gouvernement essaye de retarder cette échéance. L’heure de vérité est arrivée : nous empruntons le même chemin que la Grèce.

Bruno Le Maire a annoncé vouloir réunir les oppositions début avril pour travailler à des mesures d’économies. Etes-vous prêt à vous rendre à ces rencontres ?

À chaque problème, le gouvernement et le Président de la République trouvent la même réponse de communication : des Grenelles, des grands débats, des conventions qui n’aboutissent sur rien. Ce qui leur manque, c’est du courage ! Cela vaut pour Bruno Le Maire, qui restera dans l’histoire comme celui qui, à lui tout seul aura accumulé 1000 milliards d’euros de dette. J’appelle ceux qui sont comptables de ce bilan désastreux à plus de modestie. Ce n’est pas dans ces rencontres que se réglera l’avenir du pays.

Allez-vous faire néanmoins des propositions d’économies ?

Dès l’automne dernier, nous avions fait des propositions avec un contre-budget solide pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, avec à la clé 25 milliards de baisse de la dépense publique. Le gouvernement les a balayées. Cette gestion calamiteuse des finances publiques doit être censurée. Ce n’est plus aux Français de payer le train de vie excessif du Gouvernement.

Vous êtes donc prêt à voter la censure lors des prochains textes budgétaires, que ce soit un éventuel budget rectificatif à l’été ou le PLF 2025 à l’automne ?

Nous refuserons toutes les mesures qui ne marquent pas un véritable redressement de la situation des finances publiques. L’heure est venue de tout changer. L’Etat affecte particulièrement mal ses ressources. Des secteurs stratégiques comme l’éducation, la santé ou la justice, sont en ruine. En contrepartie un « pognon de dingue », comme aurait dit Monsieur Macron, est déversé sur des politiques inefficaces. Je pense notamment au scandale du bouclier énergétique, qui a gonflé les bénéfices des producteurs d’énergie de 30 milliards. On marche sur la tête.

Par quoi passe ce changement radical que vous préconisez ?

Le temps est venu, comme l’avait fait le Général De Gaulle en 1958, de refonder l’économie sur la base de la liberté. Nous ne pouvons plus continuer à financer un modèle social qui mobilise plus de 32% de la richesse nationale, c’est-à-dire 2,5 fois plus qu’il y a 60 ans, en faisant supporter ce poids seulement sur ceux qui travaillent.

Le poids des dépenses sociales s’explique en premier lieu par celui des pensions de retraites. Faut-il demander un effort aux retraités ?

J’ai soutenu la réforme du gouvernement. On sait néanmoins qu’elle est imparfaite et insuffisante, et qu’il faudra explorer d’autres pistes, notamment celle d’une dose de capitalisation. En revanche, je suis opposé à ce qu’on sous-indexe le niveau des pensions par rapport à l’inflation. Ce serait rompre le pacte social. C’est sur ceux qui ne travaillent pas et qui cumulent les prestations sociales qu’il faut désormais faire peser l’effort.

Quelles sont ces aides que vous voulez revoir ?

Il faut plafonner la somme des allocations perçues. On ne peut vivre de la solidarité nationale de façon permanente et indéfinie. Je préconise également de favoriser le retour vers l’emploi en réformant l’assurance chômage, avec une dégressivité des montants d’allocations. Ce modèle social a conduit à une explosion des prélèvements obligatoires. Il faut tout à la fois porter une révolution qui limitera le cout des prestations sociales non contributives, restructurer totalement l’État pour redonner de la liberté, et baisser les impôts des Français.

Est-ce vraiment réaliste de promettre des baisses d’impôts et la baisse des déficits ?

Je sens bien que le gouvernement prépare les esprits à une hausse de la fiscalité. J’y suis totalement opposé. Je suis convaincu qu’on peut réduire les impôts et le déficit en même temps. Il faut redonner aux Français le pouvoir de produire davantage avec une baisse des impôts de production, le pouvoir de transmettre en diminuant les droits de succession, et le pouvoir d’acheter en réduisant l’écart entre le salaire brut et le salaire net. Moins de dépenses publiques, moins d’impôts, plus de salaire et plus de libertés, voilà notre projet !

Vous parliez de transformer l’Etat. Pendant la campagne présidentielle, Valérie Pécresse souhaitait supprimer 150.000 postes de fonctionnaires. C’est une proposition que vous renouvelez ?

Il faut fonctionner totalement différemment. Il y a des missions que l’Etat exerce qui ne sont pas de son domaine et il y a des missions régaliennes que l’État n’a plus les moyens d’accomplir. Ces objectifs quantitatifs n’ont aucun sens. Ce qu’il faut, c’est réfléchir en termes de missions et de services utiles pour nos concitoyens. C’est cette réorganisation de l’Etat qui doit définir le bon nombre de fonctionnaires dans notre pays.

Quelle sont les fonctions dans lesquelles l’Etat n’a pas vraiment de légitimité ou devrait se retirer ?

Nous souhaitons que l’Etat assure d’abord ses missions qui reposent sur quatre piliers : la défense, la justice, la sécurité et la diplomatie. Il doit avoir également une priorité accordée à la Santé et à l’Éducation, secteur dont l’effondrement est préoccupant. Je trouve complétement inacceptable que dans les 10 milliards d’économies annoncées par Bruno Le Maire, 327 millions d’euros soient prélevés sur la justice, 134 millions sur la police nationale et 691 millions sur l’enseignement scolaire ! Nous plaidons aussi pour une meilleure architecture des collectivités territoriales. Certaines régions sont contraintes de produire des normes en matière d’urbanisme qui pénalisent la liberté des communes et des citoyens. Il faut arrêter avec tous ces délires de SRADDET, de ZAN, de schémas régionaux d’aménagement.

L’Etat doit aussi supporter l’effort en faveur de la transition énergétique. Estimez-vous que le redressement des comptes publics soit compatible avec la lutte contre le changement climatique ?

Je ne crois pas que l’on assurera la transition écologique à coups de subventions mal ciblées ayant parfois des effets contraires. On voit bien que les aides aux véhicules électriques ont été extraordinairement couteuses pour un résultat finalement très modeste. Concentrons-nous sur ce qui peut avoir le plus d’efficacité, notamment la production d’énergies décarbonées. Sur le nucléaire, si nous n’avions pas tergiversé depuis 2012 avec Messieurs Hollande et Macron, nous aurions économisé beaucoup de temps et d’argent, pour davantage d’efficacité.

Dans une récente tribune aux « Echos », Marine Le Pen expose ses « quatre principaux chantiers » en matière de dépenses publiques. Est-elle crédible, selon vous ?

Je ne crois en rien à la conversion du RN au libéralisme économique et encore moins au sérieux budgétaire. Toutes les dispositions qu’ils peuvent voter à l’Assemblée nationale ou qui sont contenues dans leur programme ne font qu’alourdir les dépenses publiques. Quand le RN s’oppose à la réforme des retraites, défend les régimes spéciaux et vote contre notre amendement imposant une contrepartie d’heures travaillées pour les bénéficiaires du RSA, il entretient un modèle d’assistanat qui est radicalement opposé à notre vision de la société.  

Une partie du groupe LR s’apprête à voter contre le CETA, l’accord commercial avec le Canada, lors d’un vote ce jeudi, au Sénat. Votre famille politique a-t-elle changé de doctrine sur le libre-échange ?

Concernant le CETA, nos sénateurs veulent éviter de potentiels dommages sur l’agriculture française dans la mesure où l’on n’a pas imposé de clauses miroirs suffisamment dissuasives. Par exemple, l’élevage canadien tolère l’administration d’antibiotiques proscrits dans l’hexagone, on ne peut imposer des normes à nos agriculteurs sans les imposer à nos concurrents. Je crois au libre-échange mais il ne peut se faire à notre désavantage.

Après Edouard Philippe, c’est Bruno Le Maire qui semble faire un pas vers une candidature à la prochaine élection présidentielle…

Bruno Le Maire, comme Edouard Philippe, sont les hommes de la dette. Je leur souhaite bien du courage pour aller, avec un tel bilan, solliciter la confiance des Français.