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« Internet ne peut pas être une zone de non-droit » Interview d'Eric Ciotti à Nice-Matin

Certains spécialistes jurent que la radicalisation des djihadistes ne se passe pas tant sur le web, ni dans les mosquées mais plutôt dans la rue et les espaces privés. Quel est votre point de vue? Pour moi, Internet est un des éléments majeurs de la radicalisation. Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a lui-même reconnu que 90 % des terroristes basculent par Internet. Par ailleurs, même s’il faut auparavant un terreau fertile chez des personnes aux profils psychologiques fragiles, les réseaux sociaux et les géants du web en général ont une responsabilité majeure dans la radicalisation et doivent donc prendre leur part dans la lutte contre ce fléau. Pour ne citer que cet exemple, il suffit de quelques clics pour consulter Daqib, la revue de propagande « officielle » de l’État islamique.   Le rôle des « géants du web » est décrié. Coopèrent-ils assez avec les États selon vous? La diffusion de contenus djihadistes est difficile à combattre car elle a lieu dans un espace mondialisé. Ensuite, les grandes entreprises comme Google, Facebook et Twitter vivent dans une supranationalité: ils considèrent que leurs lois et leurs business, surtout, dépassent les États. Disons-le clairement: ça n’est pas acceptable.   Les politiques semblent pourtant démunis face à ce phénomène… Nous avons déjà renforcé les sanctions contre les opérateurs qui refusent de coopérer. J’ai moi-même proposé qu’on mette en place des outils véritablement dissuasifs car si les géants du web, qui dégagent des millions d’euros de profits, n’ont pas une sanction économique exemplaire, on ne résoudra rien. Ensuite, il faut une prise de conscience au niveau international. Bien souvent, ces opérateurs se cachent derrière le premier amendement des États- Unis, qui défend une liberté totale. La France, seule, ne peut donc rien faire. Cela s’apparente un peu au combat de David contre Goliath. On peut imaginer que ce type de réflexions peut être à l’ordre du jour du prochain G20, par exemple.   Le gouvernement a-t-il pris la mesure de ces enjeux à votre avis? Il faut rompre avec une forme de naïveté et d’angélisme sur ces questions. Et il faut arrêter avec la liberté absolue du net. Internet ne peut pas être une zone de non-droit. Lorsque j’ai présidé la commission d’enquête parlementaire sur les filières djihadistes, je me suis rendu en Grande-Bretagne, où j’ai pu observer la très grande réactivité du ministère de l’Intérieur, qui mobilise près de 50 spécialistes informatiques pour traquer les profils djihadistes. Depuis la loi Renseignement, nous disposons de logiciels qui nous permettent d’être plus performants mais ils restent, et je le déplore, très peu utilisés. La CNIL a annoncé que 100 sites diffusant ce type de contenus avaient fait l’objet d’un blocage administratif. Ce n’est pas assez.   La pénalisation de la consultation des sites djihadistes, elle, paraît surtout inefficace… Nous avons pris du retard sur toutes ces questions. Dès avril 2012, Nicolas Sarkozy a proposé un projet de loi sur le délit de consultation de sites djihadistes. François Hollande était contre à l’époque, ce qui relativise aujourd’hui ses appels à l’unité nationale. Je suis revenu à la charge plusieurs fois en proposant des amendements. Et ce délit n’est toujours pas mis en place… On nous a opposé des questions juridiques et techniques.   Depuis le 3 juin et une proposition de loi du Sénat, ce délit va exister ! Oui et cette mesure sera appliquée à partir d’octobre. Mais que de temps perdu… La Loi Cazeneuve de 2014 permettait déjà le blocage de sites djihadistes mais elle est très dure à appliquer. Quand on monte un escalier législatif, les terroristes utilisent malheureusement l’ascenseur.   Pourquoi Internet suscite-t-il autant de fantasmes et de critiques? Au fond, ce n’est qu’une partie du problème? Internet et la révolution numérique offrent un véritable espace de liberté, c’est indéniable. Mais il ne faut pas que cette invention se retourne contre ses créateurs. Internet ne peut pas être un espace sans contrôle, qui se situe dans une extra-territorialité juridique. C’est pour cela que j’appelle à une régulation et à des sanctions fortes. On doit donner des moyens techniques et supplémentaires à nos services.   C’est-à-dire? Par exemple, la création des « cyber-patrouilleurs », que j’ai approuvée, va dans le bon sens. On voit bien aujourd’hui que la possibilité de se cacher derrière de fausses identités ou des pseudonymes participe à la diffusion de la propagande djihadiste sur les réseaux sociaux. Après chaque attentat nous pouvons également lire des centaines, voire des milliers de messages exprimant la haine de la France et glorifiant les terroristes qui l’ont attaquée. Pour mettre fin à cette impunité qui règne sur Internet, je propose de rendre obligatoire pour les réseaux sociaux la vérification de l’identité de leurs membres. Ainsi si quelqu’un veut ouvrir un compte Twitter, Facebook ou encore Snapchat, il devra au préalable fournir une pièce d’identité au site.   Cette proposition risque d’être difficile à mettre en place et de susciter des polémiques… Libre à lui ensuite de dialoguer avec un pseudonyme mais si son comportement était contraire à la loi, les autorités auraient la possibilité de savoir qui se cache derrière ce compte en quelques minutes. Cela ne résoudrait pas tous les problèmes car, sur Internet comme ailleurs, il n’existe pas une solution miracle. Mais ce serait déjà un premier pas.   Propos recueillis par Jérémy Collado  ]]>