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Eric Ciotti : "La gauche a abîmé les valeurs de la République"

LE FIGARO MAGAZINE – Avec « Autorité », livre qui détaille ses propositions pour redresser la République, Eric Ciotti se place parmi les agitateurs d’idées de la droite. Premières pistes : les droits à la nationalité française, l’immigration et les rapports de la France avec la Convention européenne des droits de l’homme… En remettant en cause le droit du sol, Nicolas Sarkozy s’est attiré les foudres des tenants de la tradition historique. Quelles modifications préconisez-vous exactement en matière d’acquisition de la nationalité française ? Eric Ciotti – Nous sommes actuellement dans une législation hybride qui procède à la fois du droit du sang et du droit du sol. Le droit du sang a toujours prévalu en France selon un principe simple : est français un fils de Français. Le droit du sol qui donne la possibilité d’être français à celui qui, quelle que soit l’origine de ses parents, est né en France, n’a été introduit qu’au XIXe siècle pour répondre à des besoins croissants en soldats et en travailleurs. Aujourd’hui, est français non seulement celui qui est issu de parents français, mais devient français à sa majorité ou, par anticipation à 16 ans, l’enfant né sur le sol français de parents étrangers, à condition qu’il ait vécu sur le territoire depuis l’âge de 11 ans et de façon ininterrompue pendant cinq ans. En 1993, la loi Pasqua-Méhaignerie a atténué l’automaticité de ce principe en y associant l’expression d’une volonté. Cette loi a rapidement été abrogée par Élisabeth Guigou sous le gouvernement Jospin, si bien que des territoires tels que la Guyane et Mayotte sont devenus des terres d’immigration massives… Dire que le droit du sol s’inscrit au cœur de notre tradition historique est une contrevérité. Ce débat mérite mieux, et je remercie très sincèrement Nicolas Sarkozy d’avoir le courage d’engager une vraie réflexion au sein des Républicains sur ce sujet majeur qui conditionne l’avenir de notre pays. Pour moi, on ne doit pas devenir français par occasion, ni par hasard. Je propose donc que la nationalité acquise au travers du droit du sol ne demeure en vigueur que pour les enfants nés en France de parents ressortissants d’un des 28 pays de l’Union européenne. C’est la préférence européenne ? L’Europe partage une histoire et une civilisation commune. Mais surtout l’Europe incarne un destin commun. L’acquisition de la nationalité française doit s’inscrire dans cette perspective, conséquence de la filiation, ou aboutissement d’un parcours d’assimilation d’autant plus aisé qu’il est sous -tendu par des valeurs communes. Contrairement aux circulaires de Manuel Valls visant à doubler le nombre des naturalisations, considérées comme le commencement d’un parcours d’intégration, j’estime, quant à moi, que les pouvoirs publics doivent, à l’inverse, d’abord s’assurer de l’adhésion des personnes susceptibles d’être naturalisées aux valeurs et principes de notre pays. La naturalisation doit signifier : « j’aime la France», et non pas « je suis devenu français du fait d’une circulaire ministérielle, mais je n’en ai que faire ». Je ne veux plus de ces images de binationaux qui sifflent La Marseillaise dans les stades ou brandissent des drapeaux étrangers plutôt que le drapeau tricolore comme, hélas, ce fut le cas le soir du 6 mai 2012 place de la République après l’élection de François Hollande… Alors que les boat people affluent, y a-t-il un nombre admissible en matière d’immigration, ainsi qu’un point de non-retour ? S’il va de l’honneur de notre pays de protéger et d’accueillir les réfugiés politiques, il serait irresponsable de laisser croire que nous pouvons recevoir sans distinction tous les migrants économiques. Pour moi, l’immigration zéro est aussi absurde que l’immigration généralisée telle qu’on la voit favorisée par les réformes socialistes qui créent un véritable appel d’air aux migrants. Je rejette, donc, autant la position de ceux qui estiment que l’immigration est une chance pour la France, que celle de ceux qui prônent la fermeture totale du pays. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la France a assimilé nombre de migrants qui ont fait prospérer son économie. Or, pour l’heure, hormis pour quelques secteurs économiques très spécifiques, nos besoins migratoires sont quasi nuls. L’idéal serait donc qu’il y ait chaque année un débat au Parlement – c’est l’une des propositions formulées par François Fillon – où serait fixé le nombre de migrants correspondant à des métiers en tension. Force est de reconnaître que l’immigration choisie demeure un vœu pieux : sur les 230000 titres de séjour délivrés actuellement, à peine 10% relèvent de l’immigration économique. C’est dire l’ampleur du problème. Et cela ne risque pas de s’arranger avec la politique mise en œuvre par la gauche. Restaurer l’autorité républicaine passe obligatoirement par la maîtrise des flux migratoires ! Vous avez réclamé l’expulsion du père de Mohamed Merah et, maintenant, vous remettez en cause l’adhésion de la France à la Convention des droits de l’homme. En quoi ces deux sujets sont-ils liés ? Tous deux participent de ce défaut d’autorité qui mine notre pays et contre lequel les Français se révoltent aujourd’hui. L’expulsion improvisée dans l’urgence du père de Mohamed Merah vers Algérie est symptomatique de l’absence du contrôle par l’État des flux migratoires. Voilà un individu, dont le fils est tragiquement connu, qui séjourne illégalement dans notre pays et qui se permet des déclarations insultant la mémoire des victimes, d’où la réaction des pouvoirs publics en réponse à une bien légitime émotion populaire. Mais il ne faut pas se leurrer : cette réaction gouvernementale représente une exception, l’attitude ordinairement adoptée à l’égard des étrangers anonymes en situation irrégulière traduit une inertie coupable. Choisir qui vient sur notre territoire ne fait, quasi plus, partie des paramètres de l’État, par absence de volonté, mais aussi pour des raisons sans cesse croissantes de difficultés juridiques dont certaines, et pas des moindres, sont générées par la Cour européenne des droits de l’homme. La jurisprudence récente de la CEDH constitue un véritable carcan pour la France tant en matière de flux migratoires que de sécurité et de lois sociétales. Certains de ses arrêts sont extrêmement choquants, heurtant de front nos lois nationales, tels l’ouverture à la légalisation de la GPA, la création de syndicats au sein de nos armées et le dangereux élargissement des conditions du regroupement familial. On a reproché à Valéry Giscard d’Estaing d’avoir introduit cette disposition dans notre législation, mais il faut se rappeler qu’elle correspond à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit au respect de la vie familiale, dont découle le regroupement familial. Le problème est que la Cour de Strasbourg interprète de façon extensive, donc nocive, les termes de cette Convention. Comme les engagements conventionnels de la France ont une valeur supérieure au droit national – y compris notre Constitution ! – il est clair que cette dérive devra être stoppée. Notre souveraineté juridique est d’autant plus fragilisée qu’à l’immigration s’ajoutent des questions essentielles comme la sécurité du territoire : la CEDH a notamment empêché l’expulsion d’un terroriste dûment condamné par nos tribunaux et déchu de sa nationalité au motif que son retour en Algérie risquait de le mettre en danger ! Ces décisions sont reprises par la Cour de cassation et le Conseil d’État, alors que tel n’est pas le cas en Allemagne avec la Cour de Karlsruhe. Autrement dit, dans certains pays d’Europe existe une certaine marge d’interprétation que se refuse d’exercer la France. Il est plus que jamais nécessaire de nous poser la question de la position de la France suite aux évolutions jurisprudentielles dangereuses de la Cour. En Grande Bretagne, David Cameron a amorcé ce mouvement en nommant un ministre chargé de réfléchir à ce problème majeur. Retrouver notre souveraineté juridique doit faire partie de nos choix. J’appelle donc à ce que la renégociation des compétences de la Cour européenne des droits de l’homme fasse partie du projet présidentiel des Républicains. Ce sera l’un des enjeux de l’élection de 2017 pour restaurer l’autorité républicaine. « La demande d’autorité est une constante française », dites-vous dans votre livre, et pourtant cela n’a pas empêché les Français de voter à gauche pour le plus terrible des laxismes… D’où, précisément, l’expression d’un sursaut de leur part quand la dérive devient trop forte ! La vérité me conduit à reconnaître que cette dérive n’est pas uniquement imputable aux gouvernements de gauche. Mai 68 marque bien sûr le fait générateur de cette dérive, avec pour porte-étendard l’interdiction d’interdire qui caractérise l’évolution de la période contemporaine. L’un des symboles de l’affaiblissement de l’autorité se retrouve dans l’incapacité de notre justice à sanctionner rapidement et de façon dissuasive ceux qui ne respectent pas les lois de la République. La loi pénitentiaire de 2009 préparée par Rachida Dati et portée par Michèle Alliot- Marie introduisait déjà la notion d’aménagement des peines de prison ferme n’excédant pas deux ans d’incarcération. Plus qu’une erreur, ce fut une faute que j’ai, à l’époque, dénoncée à la tribune de l’Assemblée, Nicolas Sarkozy en est d’ailleurs convenu au point que son programme présidentiel 2012 prévoyait de revenir sur cette mesure. A l’heure actuelle, sous la houlette de Christiane Taubira, avec 100 000 peines de prison ferme non exécutées, prévaut au surplus l’absolue hypocrisie de l’aménagement des peines quasi automatique et systématique sans tenir compte de la personnalité ou de la capacité de réinsertion du condamné. La peine de prison ferme, prononcée par un tribunal souverain qui juge au nom du peuple français, se voit trop souvent déconstruite dans l’anonymat du cabinet d’un juge d’application des peines en mesure alternative comme la surveillance électronique. La tromperie est patente et elle construit une défiance inopportune de nos concitoyens envers la justice. La force dissuasive de la sanction en conséquence ne s’exerce plus. Rien d’étonnant à ce que les délits se répètent parfois plusieurs dizaines de fois avant que leur auteur condamné ne soit enfin incarcéré. Tous les repères régaliens de l’État qui est censé, selon le mot de Max Weber, disposer du monopole de la violence légitime – justice, police, défense – sont en train de se réduire. On pourrait effectuer le même constat concernant l’autorité parentale aujourd’hui très affaiblie. Cela ne pose-t-il pas la question de la montée du populisme ? Dans une période où l’autorité ne s’exprime plus, nombre de nos concitoyens, abusés par un certain nombre de boni menteurs, risquent de céder aux sirènes de l’autoritarisme. Pour éviter cette perspective catastrophique, la droite républicaine porte la lourde responsabilité de tourner le dos à une forme d’angélisme et d’affirmer qu’elle sera le fer de lance de cette autorité, dont nous avons une impérieuse nécessité. L’autorité érige le rempart le plus solide contre l’autoritarisme. C’est la gauche aujourd’hui qui, par ses trahisons, fait le lit des populismes. Elle a notamment abîmé les valeurs de la République en cédant au communautarisme. Alors que dans notre histoire la laïcité a été plus fréquemment associée à la gauche qu’à la droite – on se rappelle les positions de Clemenceau – les socialistes ont démissionné face au communautarisme pour des raisons électorales. Ils ont repris les analyses du think tank Terra Nova selon lesquelles les immigrés devaient se substituer à la classe ouvrière dans l’électorat de gauche. François Hollande, en a été le bénéficiaire lors de la présidentielle de 2012, il est, aujourd’hui, le prisonnier de ces groupes de pression. On ne sera donc pas surpris de voir resurgir prochainement le serpent de mer du vote des étrangers. On n’est pas surpris également de voir autorisé le port du voile lors des sorties scolaires. Or, le voile, y compris à l’université, est tout sauf le signe du progrès et de l’égalité des femmes… En révoquant ses valeurs de laïcité, la gauche a trahi le lien avec le peuple. Ceux qui ont voté pour Hollande ont le sentiment légitime d’avoir été floués. C’est donc à la droite, et particulièrement aux Républicains, de donner un coup d’arrêt à l’expression de plus en plus agressive du communautarisme. Il faut sortir des calculs politiciens et penser au-delà, à la sauvegarde de la République. PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICE DE MÉRITENS Acheter « Autorité », le livre d’Eric Ciotti]]>