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Eric Ciotti : aux premières loges contre la radicalisation – Paris Match

Interview d’Eric Ciotti à Paris Match. Le département des Alpes-Maritimes est parmi les plus touchés de France en termes de radicalisation et de départs vers le califat autoproclamé de Daech. Président du conseil départemental, Eric Ciotti – également député « Les Républicains » – souligne les efforts de ses services, en liaison avec la préfecture, pour contrer le phénomène. En quoi les Alpes-Maritimes sont-elles un  laboratoire pour la lutte contre la radicalité ? Tout d’abord parce que, hélas, nous sommes parmi les départements les plus touchés de France. Ensuite, je pense que la commission d’enquête parlementaire sur les filières djihadistes que j’ai présidée à l’Assemblée m’a permis d’avoir une vision nationale du problème. En pratique, j’ai demandé aux services sociaux du département (qui sont en charge de la protection de l’enfance) de soutenir à fond les efforts coordonnés par la préfecture. Aujourd’hui, je pense que nous parvenons plutôt bien à détecter la radicalisation. C’est une étape très importante. Mais il reste à savoir comment traiter la radicalité chez les personnes affectées. Quelles sont vont principales mesures ? Les services du département ont la responsabilité des mineurs, qui sont traités par une agence dédiée, l’Adret, disposant de tout un arsenal de moyens. Il faut savoir que nous avons reçu l’année dernière 5045 signalements préoccupants d’enfants maltraités ou en danger. Sur ce chiffre, 133 concernaient des mineurs affectés par l’islam radical ou le djihad. Les 36 situations les plus graves ont été transmises à la justice pour enfants. Nous avons aussi mis en place 16 MUE – ou « Mesures d’Urgence Educative »- avec une gamme d’actions d’accompagnement social, notamment via les associations auxquelles nous sous-traitons. Dans quatre cas, nous avons également lancé un CAP – ou « Contrat d’Accompagnement Parental », où nous suivons aussi bien la famille que le jeune. Enfin, nous expérimentons aussi une nouvelle méthode, que j’ai découverte au Danemark, dite du « mentorat », où un adulte s’investit au long terme dans le suivi d’un jeune en difficulté. A chaque fois, on constate que plus on agit en amont plus il y a de chances de réussir. Quelles actions sont envisageables avec les majeurs radicalisés ? Nous sommes assez démunis en termes de mesures sociales. Juridiquement, il faut que leurs actes enfreignent la loi pour faire l’objet de mesures judiciaires. Mais ça implique un degré de radicalité très avancé, et donc bien souvent un point de « non-retour » déjà franchi pour les individus concernés. Il y a également les mesures d’état d’urgence, mais ça reste limité. L’un des principaux problèmes, ce sont les cas de suspicion de participation au djihad à l’étranger. La loi sur l’association de malfaiteurs à visée terroriste a élargi son champ d’action depuis 2012 mais, globalement, les magistrats ont tout de même besoin d’éléments de preuve pour étayer leurs doutes et emprisonner la personne. Du coup, à l’heure actuelle, la moitié des djihadistes potentiels connus pour être revenus en France depuis la Syrie ou l’Irak sont en liberté. Je considère que c’est inacceptable, c’est prendre un risque inconsidéré.

« Le début d’effondrement du « califat » de l’EI en Syrie et en Irak risque bientôt d’accélérer les retours de bombes humaines »
Quelles mesures prôneriez-vous pour renforcer l’action de l’Etat, notamment en ce qui concerne les « revenants » ? Je pense qu’il faut passer à l’enfermement d’office de toute personne revenant d’un théâtre de djihad. L’idée de les placer dans des centres de déradicalisation ouverts et sur la base du volontariat, comme l’envisage le gouvernement, c’est un peu « bisounours ». Ces gens ont été confrontés à une violence absolue, à des crimes de guerre. Il faut pouvoir évaluer leur dangerosité les surveiller sur un long laps de temps avant de les laisser éventuellement en liberté. En pratique, ça veut dire instaurer des procédures de rétention administrative d’office. Cette mesure me paraît d’autant plus urgente que le début d’effondrement du « califat » de l’EI en Syrie et en Irak risque bientôt d’accélérer les retours. Et ces djihadistes, pour certains de véritables bombes humaines, complètement déshumanisés, vont certainement être animés d’un désir de revanche. Comme ils auront perdu au Moyen-Orient, ils auront envie de relancer leur combat en Europe, notamment en France qui reste la cible numéro 1 de Daech. Juridiquement, n’est-ce pas hasardeux d’enfermer un suspect sans jugement ? C’est un changement de doctrine qui implique de changer la Constitution. Si le premier impératif est de protéger la société contre des individus potentiellement terroristes, il faut de mesures administratives. Le parallèle existe en psychiatrie : lorsqu’on détecte un fou dangereux, on l’interne d’office. Il y a des contre-expertises et plusieurs avis, mais sur le fonds, nous avons placé entre les mains du préfet le pouvoir d’interner quelqu’un qui présente des troubles psychiatriques menaçant la société. Au nom du principe de précaution. Je pense que nous devrions adopter les mêmes mesures pour les djihadistes. Mais pour mettre en œuvre une telle procédure, il faut une réforme constitutionnelle. Je pense qu’elle s’impose d’urgence, et que le président François Hollande aurait pu la lancer, en lieu et place de sa tentative avortée sur la déchéance de nationalité. Ça aurait été autrement plus pragmatique et efficace !]]>